LE DERNIER VOYAGE
Une planète reculée du système de la fédération galactique, où les bâtiments ultramodernes côtoient des parcs à la végétation
sublime et luxuriante.
Un des ces immeubles, plus discrets que les autres car moins haut et faisant corps avec le paysage. Un appartement avec baie
vitrée, vue sur une forêt similaire à celles de la mère Terre, depuis longtemps réduite à l'état de caillou froid et sans vie par les Anciens.
9h48, an 23X8 du calendrier galactique. Un bâillement se fait entendre dans la chambre SR388. Se glissant hors du lit
précautionneusement à cause de son arthrite sèche qui commençait à lui prendre ses jambes, Samus Aran, 342 ans, se leva pour préparer son petit
déjeuner. Ou plutôt pour appuyer sur le bouton pour signaler qu'elle avait faim. Un bras robotisé sortant du plafond déposa un plateau sur la
table transparente du salon. Encore des bouillies nutritives pour vieux schnoques, anciens héros en retraite dans ce paradis artificiel. Dégoûtée à
l'idée de cet ersatz de nourriture (elle avait connu des plats bien plus intéressants, ça oui. Ah, le fumet du soldat pirate grillé ... La salive
ne mit pas longtemps à envahir sa bouche à cette idée), elle appuya sur l'interphone en liaison avec son Surveilleur personnel, affecté à servir le
moindre de ses désirs. Elle était Samus Aran, après tout, et la Fédération lui devait bien ce petit service supplémentaire. Le prévenant qu'elle
allait sortir aujourd'hui d'un ton autoritaire (sa voix, malgré les années, restait puissante et claire), elle se rendit dans la salle annexe de
son petit chez elle doré.
Au centre, toujours reluisant, attractif mais effrayant à la fois reposait le légendaire Costume de puissance, debout dans une
position d'attaque basse, en appui sur une jambe, l'autre tendue avec le canon braqué sur un ennemi invisible. Le temps et les rayures ne lui
avaient pas fait perdre de sa superbe. Plus particulièrement, celle balafrant le torse en biais, profonde d'un bon centimètre, avait été causée
par le dernier clone de MetaRidley qu'elle avait décalqué il y avait ... quoi, plusieurs décennies, lui donnait un air de vétéran sorti
vainqueur d'innombrables batailles, ce qu'il était, à bien y repenser.
La nostalgie la reprenait ces temps-ci, et elle avait décidé de s'offrir une virée en Vaisseau pour repenser à ses années de
gloire, où l'action était omniprésente. Elle en avait assez de rester dans cet appartement exigu, elle voulait de l'espace, et ne parvenait pas à
se reposer comme elle l'aurait dû. Elle sentait que sa place n'était pas ici, sans pouvoir dire pourquoi.
Les cheveux blancs mais toujours longs et le visage empreint de son éternelle expression de volonté inébranlable, elle
s'intégra à son alliée de toujours. Porter cette machine de guerre était plus que stimulant et lui fit oublier ses soucis physiques, se sentant
aussi jeune qu'à sa première mission. Elle monta dans son vaisseau, une reconstitution avec les pièces d'origine du vaisseau datant de
l'épisode "Tallon IV", qu'elle affectionnait particulièrement.
Elle décolla lentement et s'éleva tranquillement vers les cieux. Voir le ciel bleu azur céder la place au noir moucheté de
l'immensité spatiale fit monter en elle un semblant d'excitation qu'elle réprima. Après tout, elle ne partait pas en mission. Celles-ci se
faisaient d'ailleurs de plus en plus rares et d'intérêt moindre pour un Chasseur de son acabit, en retraite qui plus est. En effet, avoir
éradiqué la menace pirate avait considérablement contribué à rétablir une paix durable à plusieurs années lumières alentour.
Après quelques cabrioles histoire de vérifier qu'elle avait toujours son niveau d'antan, elle se calma et passa sur le mode
stationnaire. Elle s'installa le plus confortablement possible, à demi allongée, afin de pouvoir librement accéder à ses souvenirs.
Fatiguée, elle était fatiguée de tout cela. Plus de trois siècles à combattre, et elle était encore dans une forme peu
commune, malgré les premiers signes de vieillesse. Le traitement de faveur prodigué par les Chozos, le don de leur ADN alors qu'elle n'était
encore qu'une enfant était certes efficace, mais il montrait ses limites. Il était inconcevable que les Chozos aient tenté d'atteindre la vie
éternelle, c'était contre leur nature. Et puis, ils avaient atteint leur but, puisque l'Élu(e) avait parfaitement joué son rôle de protecteur de
la galaxie.
Par certains cotés, elle regrettait de ne pas avoir eu une vie simple de citoyen intergalactique lambda; mais il aurait été
égoïste de renier son extraordinaire vie qu'elle et elle seule avait vécue.
Doucement, en se remémorant ses guerres passées, elle s'assoupit et pensa qu'il serait dommage qu'elle disparaisse et que le
mal se répande à nouveau après sa mort. Le fait de ne plus avoir d'ennemi à chasser ne voulait pas dire qu'une nouvelle menace ne pouvait
émerger.
Alors que son esprit fatigué glissait vers le sommeil, un bruit strident dans son casque mit ses sens en alerte. Elle ouvrit
les yeux et ce qu'elle vit sur la visière de son casque était tout sauf normal. Écrit en gros et scintillant, brouillant les éléments normaux du
viseur de combat, un message on ne peut plus clair clignotait :
CECI N'ARRIVERA PAS. RENDS-TOI AUX COORDONNEES SUIVANTES.
Intriguée, elle appuya sur la commande de son casque au niveau de l'oreille droite pour lire la suite du message et les
fameuse coordonnées. Nul besoin de les copier, le vaisseau les avait déjà enregistrées et annonçait "Calcul trajectoire en cours ...". Un
vaisseau de combat pouvait-il avoir des états d'âme ? Toujours est-il qu'il avait l'air d'être lui aussi impatient de partir pour cette mission
unique en son genre ...
Autre surprise, selon l'estimation de l'ordinateur de bord, le trajet vers les coordonnées indiquées par le mystérieux
message ne devait prendre qu'une dizaine de minutes, alors que l'endroit en question était à plusieurs années lumières ... Des voyants
s'allumèrent, signalant une baisse importante du niveau d'énergie des accumulateurs, mais rien de critique. Ébahie, la chasseuse se leva pour
mieux voir ce qui venait d'apparaître en face de son vaisseau : une faille spatiale, visiblement celle que comptait emprunter son vaisseau pour
son trajet étonnamment court. De nouveau, un son dans son casque, mais plus doux cette fois. Une voix qu'elle connaissait bien, celle de son
ancien mentor Chozo, "Old Bird", qui lui dit : N'AIE CRAINTE. SUIS LE PASSAGE. CE QUE TU CHERCHES T'Y ATTEND.
Très impressionnant. Le programme envoyé dans son casque avait pris le contrôle du vaisseau et dévié une partie de son énergie
pour créer cette faille. La technologie Chozo l'étonnait encore, quand bien même elle côtoyait le meilleur de cette technologie presque
quotidiennement.
Le visage illuminé par la lumière dégagée de la faille, elle vit au travers un système solaire autour duquel ne semblait
graviter qu'une seule planète de petite taille. Elle n'était pas répertoriée dans la database de la Fédération. Cependant, le vaisseau parvint à
identifier cette planète : Danaa, signifiant "Repos" en Chozo. Noyau dense, végétation inexistante, elle était parcourue par un puissant réseau
énergétique, apparemment inoffensif. Encore un coup du programme, songea la chasseuse.
Sa curiosité et sa fougue reprenant le dessus, Samus n'hésita plus en engagea son vaisseau. Le panneau de contrôle s'affola
lors du passage, les chiffres se brouillèrent un instant, indiquant une vitesse plus de cent fois supérieure à celle de la lumière, puis revient
à la normale. Le compteur affichait "342,255 Al parcourues". A peu de choses près son âge. Étrange.
"Il faudra songer à la vidange, t'es plus tout jeune non plus", pensa la vieille chasseuse, un sourire en coin. Suivant les
instructions de son mentor, elle se posa sur Danaa aux coordonnées indiquées.
N'AIE CRAINTE revient s'afficher sur sa visière interne. Elle sortit tout de même sur le qui-vive par l'ascenseur du vaisseau,
et observa les alentours. Rien qu'une vaste lande à la végétation de teinte vert-violet, peu de reliefs, une atmosphère composée à 90% d'azote.
Visiblement, cette planète était soit artificielle, soit avait été complètement modelée selon une volonté de fer.
Un grondement sourd d'éleva du sol. "Un ver fouisseur ?" pensa la chasseresse en activant son rayon de plasma, très efficace
contre ces bestioles. Mais ce ne fut qu'un bâtiment métallique et arrondi qui jaillit du sol. Le grondement cessa, et la voix revient. "Salut à
toi, Samus Aran, Élue de tous les peuples de la paix, toi qui fut et qui sera.". Machinalement, elle passa sur le viseur d'analyse et braqua son
canon sur la structure. Rien d'étonnant, titane, benzium et un métal composite chozo nommé Dendium, "gardien" en langage intergalactique. Son
viseur se brouilla un instant, et un message l'invitant à entrer apparut, alors que la porte principale du bâtiment coulissait, s'ouvrant de bas
en haut comme une coquille de tatou géant.
Elle d'engouffra par la porte, haute d'une bonne dizaine de mètres. Celle-ci se referma dans un chuintement, et un déclic puis
une pressurisation d'air se firent. Après analyse de l'air qui s'avéra tout ce qu'il y a de plus respirable, chose peu commune, elle ôta son
casque, puis entendit des voix étouffées, éthérées qui psalmodiaient son nom, avec respect. La salle, circulaire et décorée d'hiéroglyphes
chozos gravés à même le métal, possédait un projecteur holographique en son centre qui s'activa dès que Samus le remarqua. Une image d'Old Bird
apparut devant elle, grandeur nature et immobile, le regard empreint d'une affection sans bornes. Un message lu par une voix robotique se fit
entendre : "Ceci est un enregistrement effectué il y a plusieurs centaines d'années, inutile de tenter de communiquer avec Delah." (Delah
était le véritable nom d'Old Bird). Puis l'hologramme s'anima, et la voix qu'elle aimait tant s'éleva de nouveau : "Je te salue à nouveau,
Samus, guerrière ultime, protectrice de la paix. Si tu te retrouves en ce lieu, c'est que la paix règne enfin sur l'Univers, et que tu as émis le
souhait que ceci continue après ta mort.Mon peuple et moi avons songé à cette possibilité, et prévu de t'amener ici dans un tel cas. Nous te
proposons de rentrer au panthéon des guerriers Chozos, afin que ton nom et ton âme soient gardés à jamais. Ton corps disparaîtra, mais ton esprit
lui demeurerait, attendant un éventuel retour du mal pour se réveiller et conseiller le prochain Élu. La roue tourne, et ton temps est venu,
Samus. Rejoins-les, et soit digne d'un tel honneur."
Fascinée par son discours et émue aux larmes de revoir son ami, elle accepta mentalement une telle retraite. En face d'elle,
derrière l'hologramme à présent plus souriant que jamais, s'ouvrit une autre porte sur une pièce aveuglante de lumière. Au ralenti, Samus,
guerrière gardienne de la paix, chasseresse-qui-fut-et-qui-sera, entama son dernier voyage. Contournant la borne holographique, elle marcha.
L'âme en paix, elle s'avança dans la lumière, pleurant toujours. Enfin, la paix qu'elle avait cherché, qu'elle s'était battu pour l'offrir aux
autres lui revenait, à elle. Delah, à travers les siècles, lui lança un triste mais néanmoins réjoui "Au revoir, ma fille". Elle entra dans la
lumière, et tout ne fut plus que paix et blancheur.
FIN
Kalahi
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