Aussi haut que s'Ã©lÃ¨vent les flammes

Aussi haut que s'élèvent les flammes

   Mon nom est Noah VanKeren. Je suis Humain. J’ai 34 ans depuis quelques semaines. Je suis un homme blond d’un mètre quatre vingts et de 80 kilogrammes. Je suis de groupe sanguin B+. Je suis superviseur de production dans une des branches de la société Krystal Inc. Je vis en concubinage avec une femme de 27 ans, Maria Hunnigan, géologue, qui attend un enfant depuis six mois. Je suis né sur la planète Norion, dans la colonie Franklin Gamma, et je vis actuellement sur la colonie K2-L.
   Lorsque j’ai appris que le Consortium et la Fédération travaillaient sur un projet de colonie commune, je m’en moquais. Mon père venait de décéder, me laissant orphelin, et j’avais été à deux doigts de perdre mon emploi après la Guerre d’Incubation. C’est à ce moment que j’avais rencontré Maria. Une véritable beauté. Coup de foudre. Lune de miel sur Bryyo. Emménagement sur Logacia. Puis, j’ai reçu une missive de mes employeurs, m’annonçant que j’avais été promu. J’avais désormais le choix : continuer à travailler sur Logacia, m’installer sur la station spatiale civile Red Olympus, ou migrer vers la colonie en question, K2-L. Le choix n’a pas été difficile. Maria était prête à me suivre. Je connaissais son goût pour les planètes forestières, alors on a fait nos bagages, et on est partis s’installer sur K2-L. Ca fait deux ans maintenant.
   Les premiers jours se sont passés à la perfection. Puis, très vite, des tensions internes sont apparues. Faire cohabiter des Fédéraux et des membres du Consortium demandait beaucoup d’efforts de la part de tout le monde, et malheureusement, tout le monde n’était pas disposé à fournir cet effort. Ainsi, j’ai eu plusieurs fois affaire à mon voisin, Greeo’k Nostro, un Slabanthien issu du Consortium, qui me cherchait sans cesse des poux dans la tête. Au début, je n’y faisais pas attention, puis il est devenu très vite insupportable. Nous avons failli en venir aux mains.
   Puis un jour, je l’ai aperçu baignant dans son sang et je l’ai transporté à l’hôpital. Il avait été passé à tabac par des Julothiens de la Fédération. Lorsqu’il m’a demandé pourquoi je l’avais aidé, j’ai répondu que j’en savais rien. Et c’était vrai. Le lendemain de sa sortie d’hôpital, je l’ai invité à boire un verre. Ca a finit en cuite pour nous deux. Il m’a raconté qu’il venait d’une des lunes de Slabantha qui appartenait au Consortium, alors que la planète, elle, faisait partie de la Fédération. Il avait l’air d’avoir beaucoup souffert de cette séparation, puisqu’il me parlait sans arrêt de son rêve : réunir Slabantha et ses lunes sous un même drapeau. Celui du Consortium, évidemment. Aujourd’hui, Greeo’k est mon meilleur ami.
   J’ai rencontré les Chozos pour la première fois l’année dernière. Ces espèces d’hommes-oiseaux qui se la jouaient «vieux sages de la colline» ne m’inspiraient pas trop confiance mais peu à peu, ce préjugé s’est avéré infondé. Ils débarquaient de la planète voisine, Zebes, que l’on pouvait voir lorsque le soleil se couchait depuis la colline Ouest, et semblaient avoir l’habitude de passer dans le coin, puisque les superviseurs de la colonie s’étaient rassemblés comme pour une réunion coutumière. Comme j’occupais un poste important dans le corps industriel de K2-L, j’ai pu participer à une de ces réunions, ce qui m’a permis de prendre un peu la température… Alors que les superviseurs de la Fédération et du Consortium étaient relativement en froid, les Chozos se montraient conciliants et plutôt diplomate pour des soi-disant ermites. Je les ai entendus parler de projets communs, d’un ascenseur orbital, de convois d’approvisionnement en Affloralite, ainsi que d’une unité de combat formée spécialement par des experts chozos. Puis, un des Chozos, le plus trapu, a abordé un sujet dont je ne comprenais pas grand-chose. Il parlait d’un certain Projet Xena. Ca devait être important puisque les superviseurs avaient commencé à s’agiter. Il était question de sujets sélectionnés parmi la population de K2-L ainsi que d’une contribution quasi-illimitée de la part du Consortium et de la Fédération. Mais très vite, un autre homme-oiseau l’a interrompu d’un air sévère, et c’en est resté là.
   Le lendemain, j’ai appris que l’ex-Président Humain, qui avait officié pendant la Guerre d’Incubation, avait été assassiné. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire le parallèle avec la recrudescence des attaques de Pirates de l’Espace. J’ai commencé à m’entraîner au tir avec Greeo’k et un ami à lui, Ylios Aran, un Humain comme moi. Et puis on a commencé à faire de longues virées dans les bois. J’emmenais ma guitare tous les week-ends et je nous jouais un petit air devant un feu de camp. On se racontait nos vies. Ylios, surtout, avait un sacré talent d’orateur. Il nous a expliqué comment, un jour qu’il se promenait en ville sur DyoPolis avec sa petite amie Sarah, il avait aperçu un gigantesque dragon sauter du haut d’un immeuble et disparaître dans les nuages. On a tous ri. Même si c’était n’importe quoi, Ylios avait réussi à rendre la scène plus vraie que nature.
   Un jour, Maria est restée bloquée dans la grotte Reshford après un éboulement. J’étais au boulot et je n’ai été prévenu qu’après. Elle avait réussi à lancer une fusée de détresse, mais elle ne pouvait pas sortir. On a dû se mettre à dix pour dégager quelques rochers, mais peine perdue. Et là, il s’est passé quelque chose de vraiment étrange. Un animal que personne ne connaissait s’est avancé vers nous : une sorte d’oiseau terrestre d’approximativement deux mètres, au plumage d’un vert émeraude, et dont les yeux perçant semblaient jauger tout ce qui passait dans leur champ. Je ne sais pas pourquoi, on l’a laissé s’avancer vers les gravats. Il a baissé la tête un instant, comme pour évaluer la taille des pierres ou je ne sais quoi, puis il a pris du recul et il a foncé tête baissée vers l’entrée de la grotte ! On pensait tous qu’il allait se ramasser sur les rochers mais à mi-parcours, son corps a commencé à luire et il a très vite accéléré de façon impressionnante, si bien que personne n’a pu le suivre du regard. Une détonation, puis plus rien. Le gigantesque piaf avait réussi à creuser un passage dans les gravats en jouant le rôle de bélier !
   Plus tard, on a appris qu’il s’agissait d’une espère assez rare native de la planète Zebes. Personne n’a su comment il avait pu se retrouver sur K2-L, mais s’il n’avait pas été là… Je ne préfère pas y penser. Un petit groupe de Chozo est venu le récupérer pendant qu’il jouait avec Samus, la gamine d’Ylios. Elle avait l’air d’apprécier !
   Il y a une semaine, j’ai appris que les Pirates de l’Espace avaient totalement mis à sac la station Red Olympus.
   Et aujourd’hui…
   La ville est en train de flamber. Un vaisseau non identifié a bombardé toutes les défenses anti-aériennes de la colonie, et des vaisseaux de chasse Pirates ont déjà atterrit… Pourtant je croyais que les escadrons de protection rendaient K2-L inatteignable ! Et même, le bouclier orbital aurait du fonctionner ! Comment est-ce que ça a pu arriver ?! Je sors en trombe de mon airmobile et j’ouvre le sas de mon appartement, où m’attend Maria. Je lui crie de me suivre. J’attrape un pistolet à plasma et je donne le sien à ma fiancée. On va essayer d’atteindre l’astroport… Peut-être qu’il y a une navette de libre… J’aperçois Greeo’k affronter un Pirate. Il se défend bien, mais son adversaire est trop agile. J’effectue un mouvement pour aller l’aider, mais pas assez rapidement. Une détonation retentit. Mon ami tombe carbonisé par le plasma.
   Je serre la mâchoire. Les larmes, s’il y en a, viendront plus tard.
   Je démarre en trombe. L’airmobile s’élève d’une dizaine de mètres et accélère. En bas, dans la rue, c’est le chaos. Les Pirates ont commencé à attaquer les civils. Certains se défendent comme ils le peuvent, mais ils se font bien vite massacrer. Les forces armées résistent bien face aux assaillants, je me dis que tout va peut-être s’arranger.
   Une secousse. Un Pirate s’est accroché au pare-brise de l’airmobile et essaie de nous déloger avec sa lame. Sans un cri, Maria dégaine son arme et presse la détente. Un seul tir en plein front. Le Pirate meurt sur le coup et va s’écraser au sol, quelques mètres plus bas. Je n’ai pas le temps de la féliciter : une énorme masse a percuté notre véhicule.
   On s’est écrasés sur un toit. J’aide Maria à s’extirper de l’airmobile en flammes. Elle saigne de la tête. J’ai appliqué un Macrocaps d’énergie sur sa plaie pour minimiser les dégats, mais elle semble tétanisée. Sa main est crispée sur son ventre. J’espère que le petit n’a rien.
   On a atteint la rue. L’astroport n’est plus très loin. Il y a un mouvement de panique dans la foule. Les soldats de la Fédération et les troupes du Consortium battent en retraite. Comment ont-ils…. Ah…
   J’étouffe un hurlement. Devant nous se tient une créature de cauchemar : plus imposante que les Pirates de l’Espace, elle doit mesurer quatre mètres de haut. Ses ailes semblent couvrir la lumière émanant des flammes. Son corps recouvert d’écailles se meut avec une puissance indescriptible. Sa gigantesque queue se balance d’un côté à l’autre, renversant ce qui se trouve à proximité.
   Je comprends qu’Ylios disait vrai. De telles créatures existent réellement. Et à en croire le comportement des Pirates, cet énorme dragon est leur chef. Je saisis la main de ma fiancée et nous nous précipitons dans la direction opposée, nous frayant un chemin dans la foule. Une douleur subite m’arrache un cri : un tir d’énergie a atteint ma jambe, que je regarde se consumer à petit feu. Je tombe au sol. Maria m’aide à me relever.
   Trop tard.
   Elle sait ce qu’il va se passer. Je le vois dans ses yeux. Elle a senti la présence du Pirate qui se tient à présent dans son dos. Elle me sourit. Et une dernière fois, ses lèvres murmurent :
   « Je t’aime. »
   Un bruissement immonde. La tête de Maria roule sur le sol.
   Je hurle et vide mon chargeur sur le fils de pute qui a tué ma femme.
   La foule est partie. Je rampe désespérément, tentant d’atteindre un point d’appui. Soudain, je me sens soulevé par le haut, puis je suis projeté contre un parapet avec force. Je me retourne et aperçoit le dragon maudit, un cadavre empalé sur le bout de sa queue. Je saisis une arme au sol et, avec un hurlement de désespoir, je déchaîne une pluie de balles en sa direction. Toutes ricochent sur la carapace écailleuse du monstre. Celui-ci, d’un coup de patte, m’arrache le fusil des mains.
   Je remarque qu’il tient quelque chose. A la lueur des flammes, je reconnais le corps de Maria. Sa taille. Ses chaussures. Sa chemise déchirée. Ses seins nus. Et je comprends ce que cette abomination s’apprête à faire. Je le lis dans ses yeux rouges. Son sourire démoniaque s’élargit, et, avec un rire à la fois bestial et terriblement humain, il plonge sa main griffue dans le ventre de la dépouille. Avec un gargouillement immonde, il en ressort une masse de chair bouffie et sanguinolente, qu’il écrase au creux de sa paume comme on écrase un fruit trop mûr. Cette masse de chair, c’était le fœtus de notre enfant, encore palpitant de vie il y avait quelques minutes.
   Je vomis.
   Le monstre m’attrape par le col, approche son énorme tête de la mienne, et susurre à mon oreille, d’une voix tout à fait humaine, une voix empreinte de douleur et de cruauté sadique :
   «Tu sais ce que ça fait, à présent… »
   Une douleur indicible me traverse. Mon abdomen est transpercé. Je plonge mon regard dans celui du monstre.
   Le dragon m’abandonne sur le sol et s’éloigne de son pas lourd.
   Mon nom est Noah VanKeren. J’ai 34 ans. Je suis un homme blond d’un mètre quatre vingts et de 80 kilogrammes. Je vis en concubinage avec une femme de 27 ans, Maria Hunnigan, géologue, qui attend un enfant depuis six mois. Je suis né sur la planète Norion, dans la colonie Franklin Gamma.
   Et là, je suis en train de mourir d’une hémorragie sur un banc de la place Bröensten, sur la colonie K2-L.
   J’entends Samus pleurer. Ses sanglots accompagnent mon dernier soupir, et s’élèvent avec lui.
   Aussi haut que s’élèvent les flammes.

Keliaran

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